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Aurillac : Une bio en quête d'autonomie

Aurillac : Une bio en quête d'autonomie

Le 12/08/2024

La spécialisation a gagné l’agriculture au XXe siècle. Même dans le Cantal, département enclavé de moyenne montagne tourné majoritairement vers le bovin, y compris en bio. Pourtant, la diversification pour plus d’autonomie – marque des paysans d’autrefois – fait ses preuves. Et si c’était l’avenir ?

La spécialisation a gagné l’agriculture au XXe siècle. Même dans le Cantal, département enclavé de moyenne montagne tourné majoritairement vers le bovin, y compris en bio. Pourtant, la diversification pour plus d’autonomie – marque des paysans d’autrefois – fait ses preuves. Et si c’était l’avenir ? 

Pascale Solana 

De la vigne dans le Cantal ?! Vous attendez plutôt des salers avec leurs cornes élancées, une race traditionnelle mixte pour la viande et le lait, ou des aubracs et des limousines. Et vous avez raison car elles sont bien là ces vaches, à brouter dans les prés de mars à novembre. Elles s’égrènent dans les courbes de paysages vallonnés autour d’Aurillac où de solides bâtisses en granit et toits de lauzes sont enracinées. Au nord, sur les hauteurs, se détachent les puys enneigés. En tout cas, lorsque nous y sommes allés début mars. « On dit qu’ici il y a plus de vaches que d’habitants. Ça reste à vérifier ! La crise agricole entraîne une réduction des cheptels et, depuis la Covid, de plus en plus d’émigrés cantalous reviennent ! », s’exclame Noëmie Richart, gérante du magasin Biocoop L’arbre à pain à Aurillac. C’est que la montagne est belle, et la petite préfecture – 26 000 habitants, dans un département rural où les villes sont très éloignées les unes des autres – est réputée dynamique. 

Châtaigneraie 

Le magasin que Noëmie Richart dirige figure parmi les historiques du réseau. Il tient son nom du châtaignier, l’arbre nourricier, autre emblème cantalou. Lorsque cette coopérative a donné naissance à un second point de vente en 2022, il a été baptisé Châtaignier. Autrefois, avant que la maladie (le chancre) ou le maïs intensif ne le grignotent, il y en avait partout, assure Sylvain Caumont, paysan qui s’est associé avec quelques collègues, « les Castalous », afin de restaurer ces vieux rois pour relancer des vergers et une filière locale. L’arbre généreux a aussi donné son nom à une zone au sud-est d’Aurillac – la Châtaigneraie – dont les pentes s’étendent vers le Lot et l’Aveyron. Sur cette terrasse aux sols argilocalcaires, « la porte du Midi », quelques vignes cantaliennes ont résisté. « Autrefois  les Castanhau [prononcez castagnou en occitan, habitants de la Châtaigneraie, ndlr] visaient l’autonomie. Un peu de vigne, des arbres fruitiers, quelques châtaigniers, des légumes, des céréales, une variété d’animaux », détaille Sylvain Caumon. Longtemps, sans doute  plus que dans d’autres régions plus promptes à se spécialiser, la polyculture-élevage a caractérisé ces fermes qui épousaient étroitement la géographie, le climat et le sol, sinon ingrats, rudes.  

Spécialisation vs diversification 

Mais la spécialisation a rattrapé aussi ce territoire, aujourd’hui dominé par le bovin. « Les fermes monotâches s’agrandissent, explique Noëmie Richart. Une végétation conquérante referme les espaces, devenus plus difficiles à travailler, tandis que les haies et les chemins disparaissent. Avec la spécialisation, les fermes ont perdu leur autonomie. »  
L’agriculture bio, dans ses vagues de conversion, a majoritairement suivi ce schéma dicté par l’élevage conventionnel, comme l’observe Yann Grangeon, animateur au GAB15, groupement des agriculteurs bio du département, même si une part des bio choisissent la polyculture-élevage.  
La bio représente 7,4 % des surfaces agricoles, soit moins que la moyenne régionale ou nationale. « Nous sommes en zone de montagne avec des filières longues aux contraintes particulières », explique Yann Grangeon. En effet, la valorisation directe de la viande ou du lait en zone de forte production mais très peu peuplée est une problématique à laquelle la filière bio n’échappe pas. De plus, les jeunes bovins sont exportés pour l’engraissement en Italie, tandis que la France importe volontiers des vaches adultes d’Allemagne. Pour finir, la crise bio n’arrange rien. Sylvain Caumon évoque tristement les collègues qui vendent à perte. « L’autonomie et la diversification permettent de limiter ses effets, mais on ne vend guère plus cher qu’en conventionnel », ajoute Simon Lacalmontie, coprésident du GAB15. Injuste au regard des services rendus par l’agriculture bio. La présidente du GAB15, Noëmie Richart, ne contredira pas. Une commerçante pour présider un groupement agricole !? « Ça permet d’échanger des points de vue, de comprendre nos différences. D’aider et de faire bouger même si on n’est pas producteur », dit-elle. Terre de liens, Projet alimentaire du territoire (PAT), Fadear*…, au-delà du soutien aux produits locaux, qui représentent 16 % de l’offre dans ses magasins, elle s’intéresse à tous les élans d’agriculture paysanne du secteur. Comme chaque année, avec le GAB15, elle sera de la 34e Foire bio d’Aurillac début septembre « pour que producteurs et consommateurs se rencontrent, pour sensibiliser et accélérer la transition écologique ». Comme dans ses magasins coopératifs !

Sylvain Caumon 

Équilibre externe et interne ! 

Dans la ferme de Martory à Leynhac, chaque élément répond à un autre et prend sens. Les volailles par exemple. Libres, dans les vergers, elles déparasitent et enrichissent le sol en échange d’ombre, se nourrissent des céréales que cultive Sylvain Caumon et dont la paille va aux bovins qui broutent dans les estives ou les prés ourlés de haies fruitières. Parmi les rares à faire du fruit par ici, il est passionné de pommes dont il fait des jus, du vinaigre, lequel est un médicament pour ses animaux. Le fumier des bovins amende les champs de blé avec lequel Aurélie Caumon fait du pain et des gâteaux qui régalent les vacanciers des gîtes. L’équilibre de cette ferme de 80 hectares, avec sa centaine de bovins, ses lapins, canards, pintades, cochons, noyers et autres légumes  
pour l’autoconsommation, est un principe. Sylvain Caumon écoule ses productions localement et ses bovins à la coopérative Le Pré vert, sociétaire de Biocoop. Ce qui en fait un Paysan associé.  
« On prend peu de vacances, mais grâce aux gîtes, le monde vient à nous ! Les rencontres ont fait évoluer nos productions », dit-il même si la diversification et le goût de l’autonomie demeurent la marque des Caumon, en bons Castanhau : à la fin des années 1990, le père a tourné le dos à la spécialisation et embrassé la bio. Sylvain poursuit, persuadé que « l’équilibre d’un système agricole relève aussi d’un travail sur soi ». 

Sébastien Lavaurs 

Vignes cantaloues : le retour 

À l’extrême sud du Cantal, à Montmurat, le domaine des Orchidées sauvages jouxte une zone Natura 2000. « Ici, chaque agriculteur avait un peu de vignes. Mon beau-père est le dernier à les avoir conservées », explique Sébastien Lavaurs, qui il y a peu encore travaillait dans l’informatique. L’envie de liberté et de nature le pousse à les reprendre. Il a replanté progressivement sur 4 hectares différents cépages résistants. « En bio, question de sens ! De la taille à la vinification, il a fallu tout apprendre ! » Ses vins sont « nature », sans aucun intrant, excepté du soufre si besoin mais à très faible dose. Sébastien Lavaurs soigne sa vigne en biodynamie, avec des tisanes de plantes, le fumier d’un voisin, beaucoup de présence et de passion que traduit le nom de ses cuvées, « Terre happy » ou « Produit d’anges heureux » !  

Simon Lacalmontie

Paysan et illustrateur 

Simon Lacalmontie est illustrateur jeunesse et décorateur dans le dessin animé. Et agriculteur bio, son activité principale depuis 2013, lorsqu’il a quitté Paris pour rejoindre Hervé à la ferme de Puy Basset aux portes d’Aurillac. Les deux frères ont souhaité faire évoluer l’exploitation familiale, alors spécialisée bovins, comme le « progrès » le préconisait dès les années 1950, vers plus de diversification et d’autonomie. « C’était de l’élevage extensif, ce qui a facilité la conversion à la bio », observe Simon Lacalmontie. Désormais en polyculture-élevage sur 67 hectares, ils cultivent des pommes de terre, élèvent des bovins, salers croisés angus, et des poules pondeuses qu’ils nourrissent majoritairement avec leurs productions végétales. « En montagne, les vaches sortent d’avril à novembre », dit-il, montrant le foin fleuri qu’il leur distribue. Simon parle d’elles comme d’une famille, de leur odorat très fin ou de leur vision très large… Les autres, telle Noëmie Richart, parlent de lui comme d’« une référence, un paysan très impliqué ! On sait qu’on peut faire des choses ensemble ! », ajoute-t-elle. Pas seulement, comme le jour de notre visite, partager un délicieux pounti, pâté de restes, et un morceau de cantal près du cantou, l’impressionnante cheminée des maisons traditionnelles ! 

Valentin Gratio 

Cornichon mon amour 

Valentin Gratio était ingénieur son et lumière à Paris. Rien ne le prédestinait à bifurquer paysan jusqu’à ce que l’envie de revenir au pays le saisisse. Et de découvrir le maraîchage à travers le wwoofing, puis le travail d’ouvrier agricole pour gagner sa vie et préparer une installation, « bio évidemment ». C’est là, il y a deux ans, qu’il est « tombé amoureux du cornichon ». Il est passé maître dans sa culture et la conserve avec son « cornichon du Cantal ». Avant qu’on ne le lui demande, il dit des gens de L’arbre à pain et du Châtaignier, qu’« ils [l’] ont aidé au démarrage, sont super sympas, toujours prêts à l’encourager dans ses innovations ». Il vient de lancer une moutarde cantalienne. 
 

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